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L'Europe, les systèmes d'informations et la démocratie

En 1956, la création du projet européen était fondée sur la paix. Il s'agissait de mettre un terme aux guerres fratricides et destructrices. Soixante ans plus tard, la haine entre les peuples a fait place à l'amitié continentale. Mais cette victoire est moins celle des institutions que celle des modes de transports et surtout de communication qui permettent la rencontre entre territoires, personnes et cultures.

Les deux grandes mutations des moyens de communication dans l’histoire de l’humanité, l’écriture et l’imprimerie, ont chacune fait muter le rapport des citoyens au savoir et au pouvoir, et imposé la progression de la démocraticité des organisations. Chaque fois, l’Europe a été l’architecte de la transformation institutionnelle. L’essor des nouvelles technologies de l’information constitue un nouveau défi auquel son éthos lui interdit de se soustraire.

L’Europe, inventeur de systèmes politiques

Avec l’invention de l’écriture, l’accès à l’information est devenu possible pour tous ceux, encore rares, qui savaient lire et écrire. C’est l’Europe qui a su la première tirer les conséquences politiques de cette élévation du niveau de connaissance en instaurant les innovantes démocraties aristocratiques qui contrôlaient le pouvoir des régnants. Néanmoins, le placement du pouvoir de décision dans les mains des élites excluait la grande majorité de la population, qui, restée analphabète, sentait qu’elle ne savait pas, et consentait à laisser les clés de la sphère publique aux sachants.

Avec l’imprimerie et la reprographie massive des documents, l’accès au savoir s’est élargi au plus grand nombre. Les systèmes politiques ont dû intégrer cette rupture de la digue de la confidentialité en généralisant la citoyenneté. Là encore, l’Europe politique s’est singularisée en faisant émerger le pouvoir systémique de contrôle par des parlements élus. Mais la démocratie représentative est fondée sur le principe même de l’imprimerie d’information descendante : de même que l’auteur transmet son œuvre aux lecteurs qui la digèrent sans influencer sa rédaction, le décideur propose son projet aux citoyens qui ne participent pas à son écriture.

Le citoyen-dictateur modifie l’exigence démocratique

Avec Internet, de simples récepteurs, les citoyens deviennent des émetteurs-récepteurs. Leur capacité nouvelle à affirmer leurs avis et idées débride leurs envies de défendre leurs intérêts personnels. Cette liberté de parole effrénée complexifie l’exercice du pouvoir au point de paralyser les décideurs. Immédiate et désordonnée, la tyrannie quotidienne du citoyen-dictateur surpasse désormais celle des sondages.

Ainsi, la démocratie telle que nous la connaissons touche ses limites : son incapacité visible face aux crises comme celles de l’emploi, des finances publiques, des retraites, ou encore des ressources naturelles, génère un morcellement social et la baisse de sa crédibilité.

Le débat producteur de valeurs partagées

Ainsi surgit l’impératif d’un troisième saut qualitatif des mécanismes démocratiques : aligner les institutions sur la société issue des technologies de l’information. Cette transformation consiste non pas à modifier les mécanismes de décision ni de contrôle, mais plutôt à instaurer en amont des décisions des processus de réflexion collective : chercher l’intérêt général avec tous, à travers le croisement des informations et des analyses selon un triple mouvement, ascendant, descendant et latéral. Si la vocation de tels mécanismes est de faire entrer le citoyen dans la complexité, l’objectif n’est pas de construire son omniscience, mais bien plutôt de définir les valeurs et priorités partagées qui doivent présider aux choix collectifs, thème par thème. De cette élaboration d’une pensée vraiment collective dépend la convergence des décisions et des énergies. Dans cette sémiocratie - démocratie portée par un sens déterminé ensemble - nous pourrons bâtir des solidarités intergénérationnelles, interethniques, interculturelles.

Le projet européen : inventer la troisième génération de systèmes politiques

Après avoir enfanté la démocratie aristocratique puis représentative, le destin de l’Europe est d’inventer cette nouvelle ère démocratique. Sans cette réactivité organisationnelle des institutions, l’Europe serait en rupture de sa propre identité. La disparition de tout sentiment européen ne serait alors qu’une question de temps.

Comme les précédentes métamorphoses de citoyenneté, cette dialectique sociale générera plus de responsabilité intellectuelle et donc plus de performances dans tous les domaines. Au regard de ses difficultés actuelles, l’Union n’a d’autre choix que de produire cet effort démocratique porteur d’un sensationnel élan sociétal, économique et social.

< Cliquez ici pour lire l'article de la Croix >

Jean-François Chantaraud

Directeur de l’Odis – Observatoire du Dialogue et de l’Intelligence Sociale.

26/07/2012
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