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Chronique 45 - Plan de relance Union Européenne  : la patate chaude La lecture attentive du compromis du Conseil européen du 21 juillet 2020 réserve surprises et interrogations. Le plan de relance porte bien son nom : ce sera à la Next génération de le financer.

En fondant le plan de relance dans les procédures budgétaires de l'Union Européenne, la Commission européenne a cherché la cohérence, mais fait perdre le fil à tout acteur qui n'a pas des années de pratique de Bruxelles.

L'accord porte non pas sur UN, mais sur DEUX budgets distincts

Tout d'abord, il convient de dissocier le budget annuel de l'Union du plan de relance spécifique au post Covid :

  • Le budget annuel de l'Union européenne est décidé pour sept ans. Le Cadre financier pluriannuel 2012-2017 fixe un montant total de 1 074 Milliards d'Euros pour la période, soit en moyenne 153 milliards d'Euros par an. A titre de comparaison, le budget du seul Etat français en 2020 est de 380 milliards d'Euros (pour seulement 250 milliards de recettes). Les moyens de l'Union restent donc bien limités.
  • Le plan de relance post Covid est d'un montant de 750 Milliards d'Euros. Intitulé Next génération EU, il prévoit 360 milliards d'Euros de prêts, 312,5 milliards de subventions et 77,5 milliards de réallocation de lignes budgétaires déjà existantes dans le projet financier pluriannuel préparé par la Commission. Cela entraine une baisse du budget annuel de l'Union de 11 milliards pour le ramener en moyenne à 142 milliards.

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L'articulation entre ces deux budgets a conduit les 27 à couper dans le vif. Quelques décisions sont à déplorer, dont notamment :

  • La suppression pure et simple de la rubrique « santé » dans Next generation EU, alors que la santé est la cause même du plan,
  • La réduction de plus de moitié de la rallonge pour les fonds pour le développement rural,
  • La réduction aussi de moitié pour la recherche-développement,
  • La division par 6 des crédits destinés aux entreprises dans le cadre de l'initiative Invest in EU (restent 5,6 milliards sur les 30 milliards prévus) ! Ce dispositif ingénieux visait pourtant à aider les start-ups européennes à grandir et rester en Europe. Les montants prévus paraissent désormais bien faibles par rapport aux besoins de relance d'activité post Covid et dans la perspective de retrouver une souveraineté économique en relocalisant certaines productions majeures en Europe.

L'obtention de l'accord global est passé par l'entrelacement de ces deux budgets. Pour comprendre les répercussions mutuelles, il convient de les regarder séparément de près.

 

 

A/ Le budget annuel de l'Union : gestion des affaires courantes

Seule la partie des dépenses du Cadre financier pluriannuel est fixée.
Concernant le budget annuel, la partie des recettes reste à inventer du fait de la baisse des ressources :

  • Des rabais supplémentaires ont été consentis à l'Allemagne, l'Autriche, le Danemark, la Suède et les Pays-Bas, alors que certains ne payaient pourtant déjà qu'un quart de leur part au regard de la règle instituant la cotisation des pays en proportion de leur RNB (le RNB égal le PIB, mais est limité à la seule production des nationaux, y compris ceux qui se trouvent à l'extérieur du territoire).
  • La fin de la perception par la seule Union de tous les droits de douanes sur les produits importés de pays tiers : pour la première fois depuis 1968, une partie des taxes reste dans les pays d'arrivée. En l'occurrence, les taxes perçues dans les ports d'Amsterdam et d'Anvers resteront désormais aux Pays-Bas et en Belgique.
  • Comme l'Union s'est interdit tout déficit, son budget n'est pas bouclé. Certes, des pistes existent, comme des écotaxes ou taxes sur les transactions financières, mais leur efficience n'est pas avérée et elles sont loin de faire consensus à ce stade. Reste donc à découvrir de nouvelles sources de financement, inconnues à ce jour...  A défaut, les dépenses prévues dans le budget pourraient ne pas être dépensées !?

Le budget pluriannuel manque de souffle.

Au-delà des ressources, la pertinence des allocations pose question. En effet, les deux principaux postes de dépenses budgétées dans le Cadre financier pluriannuel sont la Politique agricole commune (38%) et la Politique de Cohésion (32%) qui aide les territoires les plus en difficulté, principalement donc vers les pays du Sud et de l'Est. Si l'on ajoute le fonctionnement (6%), Il ne reste qu'un petit quart pour tous les projets qui permettraient un saut qualitatif dans la recherche, l'innovation, les entreprises, l'enseignement, les transports, les transitions énergétique, climatique et digitale, sans parler de la défense, de la protection des frontières ou de la sécurité qui sont les parents pauvres habituels. L'ensemble de ces lignes budgétaires pourtant stratégiques représentent 35 milliards par an, ne progressent pas en terme réels et certaines sont mêmes en diminution. Cela parait bien limité pour permettre à l'Union Européenne de porter un projet politique continental. Surtout si l'on compare ce budget à celui des Etats-Unis, près de cent fois supérieur, avec 3 325 milliards d'Euros en 2018 !!! Voilà de quoi tempérer le rêve, l'ambition et l'enthousiasme.

A cela s'ajoutent des interrogations quant à la cohérence diplomatique et commerciale de l'Union :  poursuite du financement de pays au comportement hostile, comme la Turquie (au moins 7 milliards) ; octroi de largesses commerciales au Pakistan, dont le Premier ministre considère Oussama Ben Laden comme un Martyr... Voilà de quoi nuancer l'adhésion.

La finalité de ce budget limité, peu cohérent et sans souffle est difficile à percevoir. En définitive, il reflète l'absence de projet européen.

B/ Le plan de relance post Covid "Next generation EU" : corriger l'effet de la pandémie

Le financement du plan de relance n'est pas vraiment communautaire.

Les 750 milliards de Next génération EU sont financés par un emprunt communautaire plus de cent fois plus élevé que le plus grand à ce jour : tout un symbole ! Pour rembourser l'emprunt européen, le principe d'une augmentation des cotisations des états membres est envisagé, qui pourrait passer à 1,8% du Revenu National Brut, alors qu'il n'est que de 1,23% actuellement.

 

  • Mais la portée historique est à relativiser, car les cinq pays cités plus haut, peu bénéficiaires du plan du fait que leur PIB est moins touché par la pandémie, n'ont pas accepté cette augmentation de leur écot et ont obtenu un rabais alors qu'ils profitaient déjà de remises.
  • Les principaux bénéficiaires, comme l'Italie et l'Espagne, ont accepté une augmentation de leur cotisation en échange d'une grosse augmentation de l'aide qu'ils vont percevoir.
  • La France, qui cherchait un accord à tout prix, est la seule à avoir accepté une augmentation de sa cotisation. En contrepartie, pas d'avantages sur l'octroi des aides puisqu'elle ne percevra que 40 milliards, soit l'équivalent de sa part habituelle dans le financement de l'Europe. Elle est donc l'un des principaux perdants de la négociation, a fortiori si son RNB/PIB s'affaissait plus qu'annoncé par le gouvernement pour l'instant, ce qui est malheureusement probable.

Le remboursement de cet emprunt, prévu au plus tard le 31 décembre 2058, pourrait bien s'avérer douloureux pour les états qui cotisent le plus alors que leurs économies, mais aussi leurs finances publiques sont déjà les plus en difficulté. Si l'obstacle devenait insurmontable pour eux, les pays du Nord accepteraient-ils de les secourir alors qu'ils viennent de refuser de le faire ?

Le plan de relance n'est pas vraiment un plan européen

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Next Generation EU consiste à financer les plans nationaux. Les aides ont déjà été réparties par pays.

  • Les 40 milliards attribués à la France lui serviront à financer en partie son propre plan de relance de 100 milliards : chaque pays choisit seul de l'allocation des aides qu'il perçoit. Un seul type d'acteurs détient une seule clé pour optimiser l'articulation des plans nationaux entre eux : le Parlement national d'un pays membre peut demander un débat sur le plan d'un autre pays membre, à l'issue duquel la moitié des parlements nationaux doivent rejeter le plan proposé. Lourd et sans garanties, l'activation de ce processus serait une étape de plus vers un affaissement de l'Union.
  • De plus, plus de la moitié (390 milliards) de tout ce qui sera versé n'est qu'un prêt qu'il faudra rembourser à l'UE et n'a donc rien d'une subvention. L'autre moitié est financée par l'augmentation de la cotisation des états bénéficiaires du plan. Ils peuvent utiliser les sommes perçues aujourd'hui et cotisent plus tard : cette seconde partie est donc, elle aussi, plus proche d'un emprunt que d'une subvention non remboursable.

 

 

Pas de dynamique du fait des incertitudes sur les recettes, les projets, le calendrier, les versements.

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 Le compromis négocié entre les 17 et 21 juillet derniers par les Chefs d'état et de gouvernement de l'Union soulève plus de questions qu'il n'apporte de réponses. S'il sauve les apparences de la cohésion européenne à court terme, le peu de synergies et le flou des ressources, du calendrier de versement, de la qualité des projets et des contributions singulières des pays membres brisent dans l'œuf toute dynamique collective de relance. Cet accord est donc un premier jet qu'il faudra reprendre en tenant compte du différentiel de décroissance des pays, des déficits publics des états, des ressources fiscales nouvelles de l'Union et de l'envie renouvelée (ou non...) de chacun de se projeter dans un avenir commun. C'est comme si le nom lui-même, Next génération EU, annonçait que la patate chaude était repassée à la prochaine génération.

Le Plan « Marshall » américain de l'après-guerre, encore dans toutes nos mémoires, avait trois qualités : il était SIMPLE, RAPIDE et FINANCE.
Nous sommes loin du modèle : l'accord de Bruxelles 2020 ne suffira pas à la relance !

Pourtant, la Covid nous oblige à redresser l'activité économique, sociale et politique au plus vite. Un grand élan qui transcende les territoires, les langues et les peuples européens est indispensable : voilà une énorme opportunité d'activer enfin la créativité de tous les citoyens européens en instaurant un mécanisme de débat dans tous les organes publics, scolaires et économiques du continent. Sans implication personnelle du citoyen dans l'Europe, les pays retardataires de la croissance ne seront pas au rendez-vous ultime du remboursement du premier emprunt européen en 2058 et l'Union, créée en 1958, pourrait disparaître pour son centenaire. L'histoire jugera nos générations à leur capacité à se doter d'un processus de démocratie vraiment participative pour se réinventer tous ensemble.

Par Jean-François Chantaraud et Henri Malosse, Président du Conseil Economique et Social Européen de 2013 à 2015.

 

 

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Chronique du 15/09/2020 La Tribune

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