Chronique 41 - Une Convention citoyenne sans Ouverture à tous : pour innover, transformer, ou... ?! Il ne faut pas confondre innover et transformer.
Si une démarche d’innovation peut se concentrer dans de petits comités, à l’inverse, une démarche de transformation suppose d’impliquer toutes les parties prenantes dans la réflexion collective : l’ouverture à tous est une condition indispensable.
Comprendre et résoudre un problème suppose de réunir toutes les données. La quête d’un niveau de compréhension toujours plus élevé suppose de tendre vers l’exhaustivité. Si l’on veut intégrer tous les faits, toutes les expériences, toutes les idées, il convient de multiplier les sources d’information au point de n’en omettre aucune. Mais attention, l’enjeu est bien de se placer en situation de recherche des informations les plus importantes : les faits les plus discriminants, les analyses les plus pertinentes et des idées les plus audacieuses.
Les acteurs de l’innovation : les créatifs
A l’image de la liste des prix Nobel qui récompensent des inventions qui tombent parfois dans l’oubli, distinguer les bonnes idées des fausses bonnes idées est un art bien difficile : il ne suffit pas de décider d’innover pour y parvenir. Les innovations sont souvent le produit du hasard, de coïncidences, du croisement imprévu de savoirs éloignés les uns aux autres. Plus elles rompent avec l’existant, plus elles sont portées par des acteurs isolés socialement :
- En avance sur leur temps, forts d’une vision du présent et du futur à ce point différente qu’elle les positionne souvent en marge de la société,
- Minoritaires, et donc capables d’émettre seulement des signaux faibles, à bas bruit, par conséquent peu audibles du plus grand nombre.
Il est donc fréquent, possible et même souhaitable qu’un processus d’innovation n’implique qu’une infime fraction des acteurs : on peut innover seul ou en petit comité.
Les acteurs de la transformation : les représentants
En revanche, il y a un gouffre entre la formulation d’une idée nouvelle par de fertiles cerveaux et son appropriation par tous. En effet, plus l’innovation vise un public large, plus elle bouleverse les habitudes et plus elle s’accompagne d’une transformation du vivre ensemble.
Alors, son adoption s’opère via un mécanisme d’adaptation des différentes parties prenantes concernées, en prenant en charge des spécificités de chacune. Cela suppose d’engager dans un même processus les acteurs en provenance de toutes les sphères et porteurs de tous les enjeux :
- Economiques à court terme (clients / consommateurs / contribuables) et à long terme (actionnaires / services publics),
- Sociaux à court terme (salariés / agents) et à long terme (partenaires sociaux),
- Environnementaux à court terme (riverains) et à long terme (territoires),
- Politiques à court terme (candidats aux prochaines élections) et à long terme (citoyens),
- Internes et externes, aussi bien dans l’entreprise (salariés et clients, fournisseurs et partenaires) que dans la société (citoyens nationaux et étrangers).
Les acteurs du dialogue : les personnes
Mais, si la mutation peut être préparée et testée avec des intermédiaires ou des échantillons, elle ne se réalise qu’avec les acteurs concernés eux-mêmes. En effet, le fonctionnement collectif est le produit des pratiques individuelles. Lesquelles dépendent de l’entendement de chaque personne. Sans partage de la compréhension des enjeux, sans adhésion aux contraintes et opportunités induites par le changement, pas de mise en œuvre de nouvelles pratiques. Or, les personnes qui ne sont pas incluses dans la réflexion ne se reconnaissent pas dans la conclusion et rejettent les idées et les pratiques nouvelles. La gestion du changement consiste donc à faire changer le regard de tous.
Chacun doit être certain que ces intérêts et avis sont écoutés et entendus ; le collectif doit s’assurer du traitement équitable de l’exhaustivité des informations, des analyses et des propositions. Scanner la globalité des points de vue, des faits et des idées n’est donc garanti que par la participation effective de tous : sans tenir compte de la représentativité ; en s’assurant de l’équilibre des forces. Le mécanisme de transformation consiste donc en un processus de réflexion collective inclusif de :
- Tous ceux qui sont concernés directement ou indirectement par l’une quelconque des solutions envisageables.
- Toutes les expériences et pratiques, qu’elles s’avèrent heureuses ou malheureuses aux yeux des acteurs eux-mêmes ou de certains observateurs.
- Tous les intérêts particuliers, portés par des acteurs aux motivations hétérogènes et même divergentes.
- Toutes les postures intellectuelles y compris contradictoires entre elles,
- Tous les niveaux et toutes les natures de savoirs, sans tenir compte de ce que l’on croit que les participants savent déjà, mais plutôt en consentant a priori à chacun la même capacité potentielle d’apporter des éléments complémentaires dans le débat.
- Tous les statuts, c’est à dire toutes les cases de tous les échiquiers sociaux concernés. L’objet que l’on souhaite voire se transformer doit être observé ensemble sous toutes les coutures, sous tous les angles, avec toutes les lunettes de tous les prismes.
Si, dans la plupart des cas, seule une petite minorité prend la parole, il reste néanmoins tout à fait nécessaire que tous puissent intervenir en pratique s’ils le souhaitent.
Certes, l’ouverture à tous n’est pas nécessaire dans un processus d’innovation. En revanche, elle est indispensable dans un processus de transformation. C’est une condition nécessaire à la mise en œuvre du meilleur projet possible. Elle doit se déployer par cercles concentriques élargis, dans un cadre et selon un processus qui structure la réflexion. Mais attention, donner la parole n’est pas donner raison. Il faut gommer les non-dits, explorer chaque option, créer des liens nouveaux entre les idées et les personnes, donner leurs chances aux idées en dissonance apparente, vérifier la faisabilité, prioriser et responsabiliser tous les participants : il faut professionnaliser l’animation du dialogue (voir les chroniques Discours de la méthode, Tome II) …
La force d’attraction d’un organisme dépend de la place qu’il consent aux personnes qu’il souhaite séduire, convaincre, entraîner, engager. Ainsi, de façon paradoxale en apparence, le succès d’un collectif dépend non pas de ses défenses immunitaires à la contestation, mais au contraire de sa maîtrise de l’organisation de son ouverture à la contradiction.
La Convention citoyenne 2020 relève plus de l’étude que du débat public
La Convention citoyenne sur le climat organisée par le gouvernement français en 2019 et 2020 visait à innover. Il s’agissait donc de préparer la transformation de la société, ce qui aurait supposé de déployer un vrai dialogue avec tous les citoyens… : quelle que soit la qualité de sa production et de sa représentativité, un petit comité de 150 citoyens parmi 50 millions d’adultes ne peut suffire à prendre en charge les enjeux à l’échelle de la société française !
L’ouverture à tous Eléments de méthode 1) Donnez la parole à chacun
2) Donnez la parole à toutes les attitudes, vécus, pratiques
3) Donnez la parole à toutes les idées
4) Donnez la parole à tous les statuts
5) Donnez la parole aux minorités
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==> Impliquez tous les types d’acteurs, indépendamment de leur représentativité |
Illustrations Cités-Etats antiques : Le bannissement était une sanction considéré par les citoyens comme pire que la mort. Oublier d’inclure des interlocuteurs dans le dialogue revient à les exclure du corps social : ils se désimpliquent, se démotivent, se marginalisent au point de risquer la fracture du collectif. Le repli extrémiste des minorités : Lorsque leur poids structurel est marginal et qu’ils savent donc qu’ils ne seront pas appelés aux responsabilités, les acteurs peuvent adopter des positions extrêmes. |
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