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Chronique 18 - L'apogée de la civilisation à travers les dix albums les plus vendus Vous n'achetez pas la musique par hasard : elle résonne avec l'air du temps, avec l'inconscient collectif.

Le classement des meilleures ventes mondiales d'albums raconte l'apogée territoriale.

La conquête de la Lune, la guerre du Viêt Nam, la société de consommation, le face à face thermonucléaire, les Droits des femmes, l'entrée dans la complexité : il suffit de connaître les meilleures ventes mondiales de disques de tous les temps pour comprendre la société...

Années 1960, « Please, please me » : l'amour est la destinée manifeste

  • Les Beatles apparaissent et chanteront jusqu'à leur séparation l'amour le plus simple. Leur répertoire, le plus vendu sur la planète à ce jour, présente un monde de fraternité universelle, ou chacun est libre, y compris de refuser de dire bonjour (« You say hello, I say goodbye »).
  • En mai 1961, le Président américain fixe l'objectif de poser un homme sur la Lune avant la fin de la décennie. Avec la maîtrise des moyens de transport, des matières premières, des biens de consommation et même des loisirs, le niveau de vie de l'occident est en pleine croissance. Surtout, la télévision entre dans tous les foyers et fait découvrir l'écart entre les réalités et les opportunités sociales, entre le confort et les guerres récentes et en court.

>> Le bien-être matériel parait sans limites, la société de consommation aspire à plus : des relations humaines renouvelées dans la liberté.

1969, « Abbey Road » : l'adresse du drapeau américain sur la Lune

  • Le titre du dernier disque des Beatles est l'adresse de leur studio d'enregistrement : message creux, en déficit de sens et de direction. Comme si leur camp de base était l'alpha et l'oméga, il sera le point final de leur itinéraire.
  • Après la conquête de l'Ouest et du Monde, la conquête de l'espace parait s'achever avec l'accomplissement de l'objectif fixé par Kennedy : l'homme fait le premier pas sur la Lune le 21 juillet 1969.

>> C'est la fin de la route : l'objectif de la société, vers lequel toutes les énergies convergeaient, est atteint ; le territoire est à son maximal. Le destin collectif est accompli.

1971, « ... » (10e) : l'album sans titre et au sens caché

  • Led Zeppelin décide qu'aucun sens n'est satisfaisant pour son quatrième album et décide de ne pas lui donner de nom. Dans sa chanson clé, « Stairways to heaven - Escaliers vers le paradis », le narrateur propose de jouer le « Back door man - gardien de la porte arrière » pour aller « deep down inside - au fond des choses », comme si le bon chemin n'était pas celui que l'on croit, s'il allait falloir creuser pour faire la paix sans le dire, acter la défaite sans l'avouer.
  • Les quinze séances de négociations secrètes d'Henry Kissinger avec la Chine, à Paris, visent à contrer la domination russe sur le monde communiste et à préparer le retrait des États-Unis de la guerre du Viêt Nam.

>> Arrivé à destination, on ne sait plus où aller. Il faut explorer en coulisses de nouveaux chemins pour inventer les prochaines étapes : le meilleur et le pire semblent possibles.

1972 « The dark side of the moon » (2e) : la lune n'était en fait qu'une nouvelle frontière

  • Avec « La face cachée de la lune », Pink Floyd chante la complexité du monde, l'infinité de l'espace et du temps que nous ne maîtrisons pas et nous rend fous. Ils font un « Grand concert dans le ciel - Great gig in the sky » et affirment que nous avons perdu notre identité « There is someone in my head, but il's not me » - Il y a quelqu'un dans ma tête, mais ce n'est pas moi ».
  • Loin d'être achevée, la conquête de l'espace s'avère n'en être qu'à ses balbutiements. Surtout, elle nous introduit dans un monde nouveau et inconnu qui questionne le sens de la vie sur terre.

>> Alors qu'elle se voyait toute puissante, l'humanité prend conscience de son insignifiance, de son ignorance et de son impuissance dans l'univers. Elle se demande qui elle est.

1976, « Hotel California » (5e) : le piège de la société de consommation

  • Les fans d'Eagles chantent « You can check out, but you can never leave - Vous pouvez payer la note, mais vous ne pouvez jamais partir » : dès que nous y avons gouté, nous sommes prisonniers de notre plein gré de la luxure et l'immédiateté.
  • L'évolution du pouvoir d'achat ouvre l'accès à grande échelle à de nombreux nouveaux produits générateurs de confort matériel. Avec la télévision couleur, la publicité entre dans les maisons. Humour, érotisme : tout est bon pour donner envie d'acheter et vendre.

>> C'est le triomphe de l'Avoir sur l'Être : exister tout de suite suppose de paraître toujours mieux et de posséder toujours plus.

1979 « Highway to hell » - « Back in black » (4e) : l'autoroute vers l'enfer

  • Avec AC/DC, la planète chante en chœur qu'elle ne veut « No stop sign, speed limit - Aucun obstacle, ni frein» sur son chemin vers la catastrophe. « Hells bells - les cloches de l'enfer » sonnent : nous y sommes arrivés.
  • Un an plus tôt s'est produit le naufrage du pétrolier Amoco Cadiz, premier désastre écologique de grande ampleur qui s'avère très tôt lié à un enchainement de décisions irresponsables de tous les acteurs privés et publics. De plus, le face à face nucléaire États-Unis - URSS peut détruire la vie sur terre en quelques minutes. Les accords Salt II (Strategic Arms Limitation Talks) ne sont pas ratifiés par le Sénat des États-Unis.

>> Le sentiment de la possibilité de la fin du monde se diffuse. Chacun continue néanmoins de jouir de tout à sa guise, sans souci du lendemain, sans assumer les conséquences de ses actes. C'est le besoin de liberté immédiate et sans entrave.

1982, « Thriller » (1er) : le cimetière des morts vivants

  • Le clip de Michael Jackson présente une mise en abyme dans lequel nous sommes tantôt et à la fois bourreaux et victimes. « It's close to midnight -  A l'approche de minuit », de la fin du jour et de la fin du monde, « Horror looks right between your eyes - L'horreur te regarde droit dans les yeux » et nous sommes paralysés.
  • USA, Reagan à 71 ans, acteur de cinéma non expert de la politique faisait craindre le pire à la société mondiale au début de son mandat. En face, Brejnev dirige l'URSS dans la sénilité.

>> Le double piège de la société de consommation et de la course aux armements semble se refermer sur l'humanité, sans échappatoire.

1992, « I will always love you » (3e) : première prise de pouvoir des femmes

  • Première femme dans le classement mondial, Whitney Houston reprend le flambeau de l'amour des Beatles, mais en se sacrifiant pour son amour « If I should stay, I would only be in your way, so I'll go - Si je restais, je te gênerais, alors je pars ».
  • Avec les années 1990, les femmes deviennent astronautes, sont plus scolarisées que les hommes, mais s'effacent encore pour ne pas gêner la carrière de leur mari, comme Anne Sinclair.

>> La femme devient la partenaire de l'homme, sans encore tout à fait oser prendre toute sa place.

1999, « Come on over » (9e) : la femme est libre, indépendante de l'homme

  • Avec « Man ! I Feel Like a Woman », Shania Twain va plus loin et indique « We don't need romance, not gonna act politically correct, do what I dare - Nous n'avons pas besoin d'amour, ne sommes pas conformistes, faisons ce que nous osons ».
  • C'est l'annonce de la fin du plafond de verre. Mais, en 2019, les femmes ne sont encore que 8 parmi les chefs de gouvernement des 28 pays de l'Union européenne, 3 parmi les chefs d'entreprises du CAC 40 et seulement 10 parmi les 254 plus grandes entreprises mondiales.

>> La femme devient l'égale de l'Homme. En perçant le carcan social, elle commence à réaliser son avenir.

Années 2000, « Marshall Mathers » : la téléréalité en quête de sens

  • Eminem, l'artiste qui vend le plus de disques depuis 2000, a donné son vrai nom à l'album qu'il a le plus vendu. Ses chansons parlent de tout en transparence : son enfance, ses galères, son succès, sa famille, les acteurs de sa profession, la politique, la société ; il vit plusieurs vies simultanément en posant diverses signatures (Slim Shady) sur des albums différents ; il plaque des avis rebelles et des paroles controversées sur lesquels il revient sans crainte.
  • Avec les smartphones et les réseaux sociaux, chacun peut communiquer à volonté en adaptant son identité et ses messages à ses différents interlocuteurs. Nous sommes en même temps dans la transparence et l'anonymat, la vérité et les bobards.

>> C'est le règne de l'égocentrisme qui cherche à se conjuguer avec la complexité de la vie et de la société.

 

La société paraissait un temps au bord du précipice. Elle résiste encore aux poussées de pollution, réchauffement, démographie, virtualité, déficits publics, abstention, transition énergétique, etc.

Avec la transparence imposée par Wikileaks ou les Panama Papers, la convergence des périls, la pratique du double langage et l'hypocrisie ne resteront pas tenables. La société est dans une quête de sens global, de nouveaux paradigmes dans de nombreux domaines :

  • Économie, pour agréger le libéralisme et le socialisme,
  • Physique, pour réunir les théories incompatibles de la relativité générale et de la mécanique quantique,
  • Transition énergétique pour conjuguer niveau de vie et risques de pollution massive...

Il va s'agir de se mettre en situation de pouvoir dire la même chose de la même façon à toutes les parties prenantes pour toutes les engager dans la prise en main des enjeux de civilisation. Voilà l'enjeu pour les artistes, les syndicats, les politiques, les entreprises et les citoyens : assumer la complexité.

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NOTES

(*) Afin d'éviter les écueils des faux dialogues générateurs de suspicion, de rupture et de conflits, La Tribune ouvre ses colonnes à l'Odissée. Pilotée par son directeur et expert de la dialectique, Jean-François Chantaraud, la chronique hebdomadaire « Ne nous fâchons pas ! » livre les concepts, les clés opérationnelles de la méthode en s'appuyant sur des cas pratiques et sur l'actualité.

L'Odissée, l'Organisation du Dialogue et de l'Intelligence Sociale dans la Société Et l'Entreprise, est un organisme bicéphale composé d'un centre de conseil et recherche (l'Odis) et d'une ONG reconnue d'Intérêt général (Les Amis de l'Odissée) dont l'objet consiste à "Faire progresser la démocratie dans tous les domaines et partout dans le monde".

Depuis 1990, l'Odissée conduit l'étude interactive permanente Comprendre et développer la Personne, l'Entreprise et la Société. Dès 1992, elle a diffusé un million de Cahiers de doléances, ce qui l'a conduit à organiser des groupes de travail regroupant des acteurs des sphères associative, sociale, politique, économique qui ont animé des centaines d'auditions, tables rondes, forums, tours de France citoyens, démarches de dialogue territorial et à l'intérieur des entreprises.

Chronique du 13/05/2019 La Tribune

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