Nous sommes tous des légumes moches ! n° 2Une innovation sociale en RSE ?
Résumons.
Les données récentes de l’IFOP (février 2015) pour le Défenseur des Droits font état d’un « sentiment de discrimination » lié à la situation de demandeur d’emploi pour 56 % des sondés, derrière la séniorité, la grossesse, l’aspect physique ou l’origine étrangère présumée, mais avant l’homosexualité ou la jeunesse. La réalité de cette situation n’est actuellement pas chiffrable, ni du côté de demandeurs d’emploi, ni du côté des recruteurs. En revanche, chacun connait dans son entourage proche quelqu’un qui est, a été (ou probablement sera) au chômage, et peut mesurer les effets négatifs qui en découlent.
Si on accepte ce « sentiment de discrimination » pour les autres critères, ce que fait déjà la loi, alors il faut accepter l’idée qu’il repose au moins en partie sur une réalité pour les demandeurs d’emploi. Et de fait, tous les dispositifs publics d’accès à l’emploi et les pratiques de recrutement du secteur privé qui jusqu’alors n’en tiennent pas compte tolèrent une forme de discrimination indirecte.
Les politiques publiques et les champs RSE Emploi / Insertion sont clairement organisés autour des 20 critères légaux de discrimination. Mais comment sont-ils établis ? On peut faire l'hypothèse qu'ils sont issus de jurisprudences liées à l’action de groupes constitués, d'associations de défense d’une partie du corps social visible et agissante. Et comme les demandeurs d'emploi ne sont pas organisés en groupe de pression, cette discrimination n'est pas reconnue ni mesurée. Elle est seulement ressentie.
« Mieux disant » et dialogue social.
Parmi ceux pour qui Nous sommes tous des légumes moches ! est une réalité, l’entreprise peut être en première ligne pour faire bouger les représentations. Les parties prenantes peuvent opter pour une démarche volontariste de « mieux disant » qui s’engage au-delà des discriminations décrites par la loi et des mesures déjà référencées dans les chartes RSE. Compte tenu de la proximité de chaque citoyen avec la question du chômage, cette action permet à chaque collaborateur de l’entreprise de trouver un moyen d’engagement à sa portée, et mesurer l’impact de l’engagement individuel et collectif sur un phénomène économique et social qui concerne chacun. C’est donc un élément du dialogue social, sous condition que toutes les composantes soient associées à sa mise en œuvre. C’est aussi un élément de différenciation dont l’entreprise peut tirer avantage, en particulier dans les clauses d’insertion des marchés publics.
Une innovation : l’indicateur « Légumes moches ».
Il est envisageable de produire un indicateur « Légumes moches » basé sur le ratio de demandeurs d’emploi recrutés et sur les externalités positives que cela provoque. Cela permettrait de rendre lisibles les actions déjà réalisées avec des critères à ce jour rarement utilisés dans le monde de la RSE et dans la norme ISO 26000, et de mesurer rapidement les progrès. Le sujet et la méthodologie créeront à terme une dynamique d’innovation interne et externe qui agit sur l’écosystème de l’entreprise (environnement économique et citoyen) et par effet induit sur l’écosystème de ses collaborateurs (cercle familial et relationnel). C’est un programme axé sur la valorisation de la réussite individuelle et collective. Le sujet se situe aussi au croisement d’autres approches RH / RSE, telles que la prévention des risques psychosociaux (comment mon entreprise de positionne-t-elle sur la prévention du chômage ?) ou la GPEC (comment mon entreprise conçoit-elle la compétence et quelle projection à long terme ?) A terme, des initiatives innovantes regroupées sous l’appellation Nous sommes tous des légumes moches ! pourraient peser sur la vision collective et politique.
Lutter contre les résistances.
S’intéresser aux « Légumes moches », c’est aussi donner à tous des éléments d’analyse et des pistes d’action pour peser sur des comportements souvent clivés qu’on peut comparer aux résistances à l’installation des éoliennes : oui à la transition énergétique, mais hors de ma vue ! Autrement dit, le syndrome NIMBY (Not In My Back Yard).
Je vous propose l’expérience suivante : parlez-en autour de vous, et plutôt à des interlocuteurs réceptifs au sujet. Au bout de quinze à vingt minutes, le débat glissera imperceptiblement sur l’effort nécessaire que doivent encore faire les demandeurs d’emploi pour expliquer ce trou dans le CV, pour apprendre à valoriser leurs compétences et pour se montrer dynamiques, entreprenants et rassurants. Comme les conseilleurs ne sont pas les payeurs, chacun y va de sa « bonne méthode » et il y a autant d’avis que d’interlocuteurs. Mais au fond, c’est toujours à l’autre d’être vertueux le premier, pour que chacun le devienne à son tour. Ce constat vaut aussi semble-t-il pour les femmes, longtemps après le retour d’un congé de maternité ou parental, et pour les parcours professionnels jalonnés de CDD.
Nous sommes tous des légumes moches ! Ça n’est pas...
Des embauches « au rabais » comme des prix de vente au rabais. Des risques accrus liés à un déficit de compétences. Une belle idée sans partage sincère des fondamentaux. Un concept opportuniste. Un propos compassionnel.
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